Depuis 2023, les assujettis mixtes et partiels à la TVA font l’objet d’importantes modifications réglementaires en matière de détermination et de communication de leur droit à déduction. Ces réformes avaient, au départ, pour objectif de renforcer la transparence et le contrôle de l’administration TVA.
- Prorata général et affectation réelle : deux méthodes de déduction de la TVA
Pour rappel, un assujetti mixte est une entreprise qui réalise à la fois des opérations ouvrant droit à déduction (opérations soumises à la TVA) et des opérations exonérées de TVA. Un assujetti partiel, quant à lui, réalise des opérations situées dans le champ d’application de la TVA et des opérations en dehors du champ d’application de la TVA.
Pour les assujettis mixtes, deux méthodes permettent de déterminer le droit à déduction :
- Le prorata général : il s’agit de la méthode de déduction de la TVA applicable par défaut. Pour obtenir ce prorata, il suffit de déterminer le pourcentage obtenu suivant un rapport entre le chiffre d’affaires donnant droit à déduction et le chiffre d’affaires total. Ce prorata détermine la part de TVA déductible sur les dépenses relatives à l’activité mixte.
Par exemple, une ASBL reçoit 80.000 € de recettes exonérées (ex : formations) et 20.000,00 € de recettes taxées (ex : publications). Le % applicable sera calculé comme suit :
20.000 € = 20% de déduction TVA
100.000 €
- L’affectation réelle : cette méthode de déduction est prévue à l’article 46, § 2 du Code TVA. Elle permet d’affecter chaque bien ou service aux activités qui ouvrent ou non droit à déduction de la TVA. Cette méthode de déduction constitue une dérogation au principe de déduction de la TVA suivant le prorata général.
Depuis peu, les deux méthodes de déduction précitées requièrent une notification préalable et obligatoire à l’administration TVA. Cette notification se fait via le formulaire électronique E604A ou B disponible sur la plateforme MyMinFin suivant qu’il s’agisse, respectivement, d’un début d’activité ou d’une modification d’activité.
Pour les assujettis partiels, seule la méthode de déduction suivant l’affectation réelle est applicable, ce qui implique, de facto, qu’aucune notification préalable ne doit être opérée.
Le non-dépôt ou le dépôt tardif de la notification précitée expose l’assujetti à des amendes administratives :
- 500 euros en cas de non-dépôt ou ;
- 100 euros par mois de retard, avec un maximum de 500 euros, en cas de dépôt tardif.
L’administration TVA indique toutefois qu’elle fait preuve de souplesse lorsque la régularisation est spontanée.
- Quid des nouvelles obligations déclaratives dans la déclaration TVA ?
Depuis 2023, lorsqu’ils appliquent la méthode de l’affectation réelle, les assujettis mixtes et, dans certains cas, les assujettis partiels doivent communiquer dans leur déclaration TVA plusieurs données relatives à leur droit à déduction :
- Le % définitif de l’année précédente ;
- Les proportions en pourcentage de :
- La TVA sur les opérations qui sont exclusivement affectées aux opérations qui permettent le droit à déduction à la sortie ;
- La TVA sur les opérations qui sont exclusivement affectées aux opérations qui sont exemptées de TVA ;
- La TVA sur les opérations mixtes.
Par exemple, une ASBL une ASBL est un assujetti mixte dont le CA est le suivant :
- 25% soumis à TVA (cafétéria) ;
- 75% exempté de TVA (organisation de spectacles) ;
Dont les coûts sont les suivants :
- 35.000 € de TVA pour la rénovation de la cafétéria ;
- 10.000 € de TVA pour les meubles conçus pour l’organisation de spectacles ;
- 3.000 € de TVA pour l’entretien du bâtiment (usage mixte) ;
- 2.000 € de TVA sur les factures comptables (usage mixte).
TVA totale 50.000 €.
Dans ce cas, il y a, en principe, lieu de déclarer les % sur la plateforme INTERVAT comme suit :
- Pour le % relatif au droit à déduction total : 70% de 50.000 € à déclarer ;
- Pour le % relatif à ce qui ne permet pas le droit à déduction : 20% de 50.000 € à déclarer ;
- Pour les proratas spéciaux (usage mixte), le % dépend de plusieurs facteurs propres à la situation du cas d’espèce.
Ces données, transmises via INTERVAT, devaient, en principe, permettre à l’administration de contrôler la cohérence entre le régime appliqué et la réalité économique.
Dans le cas des assujettis mixtes à la TVA qui appliquent la méthode de déduction de la TVA suivant le prorata général, il s’agit simplement de déclarer le prorata définitif de l’année précédente au mois d’avril de l’année en cours qui devient le prorata temporaire pour l’année en cours et ainsi de suite.
Au départ, ces obligations concernaient tous les assujettis à la TVA.
Au fur et à mesure des mois écoulés, l’administration TVA a pris conscience que ces nouvelles mesures étaient peu comprises par les assujettis et que celles-ci impliquaient, à nouveau, une mise à contribution importante de la part de leurs comptables. En conséquence, l’administration TVA a publié une série de tolérances administratives et a restreint, à tout le moins temporairement, le champ d’application de ces mesures.
- Tolérances administratives et suppression progressive de l’obligation
L’administration TVA a reconnu les difficultés pratiques liées à ces nouvelles obligations. Par ailleurs, il est tout à fait frappant de constater que l’administration fiscale n’analyse pas les chiffres qui lui sont déclarés.
Par conséquent, la première tolérance administrative publiée en date du 23 mai 2024 prévoyait que pour les assujettis partiels, cette obligation de déclaration des % précitée était limitée aux grandes entreprises et certains organismes publics. Cela limite, fort heureusement, le champ d’application de cette mesure pour les assujettis partiels.
Plusieurs autres tolérances successives ont été introduites :
- En 2024, possibilité de déclarer des estimations (Fisc. Act. 2024, 21/1) ;
- En 2025, une tolérance complémentaire (avis du 4 juillet 2025) permet aux PME de continuer à déclarer des estimations dans leur déclaration du deuxième trimestre ou de juin 2025.
Ensuite, et fort heureusement, à titre de tolérance ministérielle, il a été prévu que pour les assujettis mixtes, l’obligation de déclaration électronique sera supprimée pour les PME à partir de 2026. Les grandes entreprises devront toutefois continuer à transmettre leurs chiffres définitifs le 20 avril 2026.
Pour la déclaration du % relatif au prorata général, celle-ci reste inchangée. Il y a lieu de communique le prorata général et les proratas spéciaux appliqués dans la déclaration TVA (au plus tard le 20 avril de l’année en cours) ou relative à l’un des trois premiers mois de l’année civile en cours (au plus tard le 20 février, le 20 mars ou le 20 avril). Par ailleurs, dans cette declaration, il y a lieu d’opérer les éventuelles révisions de déduction. Si le prorata général définitif est supérieur au prorata général provisoire appliqué l’année précédente, et si c’est le cas durant les deux premiers mois de l’année en cours, il y a lieu d’opérer une déduction supplémentaire égale à la différence entre la déduction calculée selon le prorata définitif et celle qui a été calculée selon le prorata provisoire. Dans le cas inverse, il y a lieu d’opérer le reversement d’un montant de taxe égal à la différence constatée.
- Perspectives : vers une simplification durable
Les réformes successives de 2023 à 2025 ont profondément modifié la gestion du droit à déduction pour les assujettis mixtes et partiels. Elles marquent une volonté d’uniformisation et de transparence, mais aussi de simplification progressive.
Cette évolution traduit une volonté de simplification et de recentrage sur les contrôles à valeur ajoutée.
Cependant, en pratique, les chiffres communiqués dans les déclarations 2024-2025 n’ont que rarement été exploités par l’administration, ce qui a conforté la décision de supprimer l’obligation pour les PME. Pour les grandes entreprises, les informations transmises demeurent toutefois utiles, notamment pour l’application de l’article 18bis, § 6, de l’AR n° 3, qui autorise l’administration à réviser ou remettre en cause la méthode de déduction lorsqu’elle estime que la réalité économique ne correspond pas aux chiffres communiqués.
Nous aspirons toutefois à une clarification des mesures adoptées par le législateur pour le futur. Notamment, en ce qui concerne la possibilité de convenir avec l’administration TVA des clés à appliquer pour la méthode de l’affectation réelle par les PME. En effet, le nouvel article 18bis, § 6 de l’AR n° 3 précité prévoit que l’administration TVA peut intervenir jusqu’au 31 décembre de l’année qui suit l’année au cours de laquelle les chiffres doivent être communiqués, lorsqu’elle estime, sur base des chiffres communiqués,que l’exercice du droit à la déduction suivant l’affectation réelle ne correspond pas ou plus à la réalité. Lors de l’introduction de cette nouvelle disposition, l’administration TVA a été dissuadée de conclure de nouveaux accords préalables sur les clés à appliquer par les assujettis qui appliquaient la méthode de l’affectation réelle, comme il était possible de le faire avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions TVA. Désormais, il serait utile que l’administration TVA revienne sur sa position pour les PME en acceptant, à nouveau, de discuter des clés à appliquer par les PME pour la méthode de déduction de la TVA suivant l’affectation réelle.
En attendant, il demeure essentiel pour chaque assujetti de vérifier le régime applicable à sa situation, de notifier à temps sa méthode de déduction et de maintenir une documentation interne claire pour justifier ses choix en cas de contrôle.
Sophie Sprio – Avocat fiscaliste
- By Sophie Sprio
